Le marché de Garreg Mach était sans aucun doute l’attraction du village, proposant des objets et denrées en tout genre, parfois très rares pour la région. Emil était toujours quelque peu surpris de voir les rues du marché fourmillant de monde et d’activité peu importe le jour où il s’y rendait. C’était loin d’être un problème, cependant : il profitait de ses promenades au marché pour faire du repérage, restant à l’aguet pour des objets intéressants qu’il se contentait d’examiner, ou bien des personnes venant d’autres régions qui auraient pris une bourse généreuse sur elles. Bien sûr, voler quelque chose dans ce marché était risqué, d’autant plus qu’il essayait de garder une certaine réputation avec les commerçants locaux, donc il se retenait de dérober ne serait-ce qu’une seule petite babiole, bien qu’il fut pris d’envie de le faire plus d’une fois depuis son admission à l’Académie des officiers.
Son repérage servait uniquement à un passe-temps plus honnête au marché : aider les marchands dans leurs échoppes.
En effet, il n’était pas rare pour le baron de proposer son aide à des marchands lorsque leurs échoppes étaient très prisées et qu’il avait beaucoup de temps devant lui. Ce travail lui permettait de se faire un peu d’argent d’une manière plus honnête que ses larcins et contribuait aussi de manière positive à la réputation de l’Académie, bien qu’il ne doute pas qu’il puisse avoir été l’objet de moqueries de la part des académiciens les plus opulents. Il n’avait pas été témoin direct de telles moqueries, mais il lui semblait naturel que des nobles vicieux prennent un malin plaisir à casser du sucre sur son dos, car il était chose rare de voir un baron faire un métier de roturier, même temporairement.
Ce jour-là, Emil avait un peu moins de temps devant lui, et il se contentait de regarder les échoppes en tant que simple client, saluant les commerçants qu’il connaissait un peu mieux. Il s’arrêta pour acheter une pomme et, au moment où il commença à la manger, il remarqua la présence d’un homme avec un certain charisme qui marchait devant lui.
En réalité, la première chose qu’il remarqua était une cape bleue et des cheveux blonds. Le baron se concentra d’avantage, et constata que l’homme qui marchait devant lui était grand et bien bâti. À la vue de ses vêtements, on aurait dit qu’il avait voyagé quelque temps et, à son physique, le baron ne serait pas étonné d’apprendre que l’homme serait un guerrier. Ensuite, il remarqua un emblème sur sa cape. Emil mit une minute à réaliser la situation. Il a regardé la cape, s’est frotté les yeux pour être sûr qu’il ne rêvait pas, et avait finalement écarquillé les yeux lorsqu’il réalisa que ce n’était pas un rêve.
Un Blaiddyd marchait devant lui, dans le marché, et semblait vaguer à ses occupations sereinement. Emil, intrigué, ne put s’empêcher de se rapprocher pour l’examiner de plus près, et remarqua qu’en plus de se montrer au grand jour, le Blaiddyd avait aussi une très grosse bourse attachée à sa taille, le genre de bourse qui donnerait envie à n’importe quel voleur de s’en emparer. Emil eut envie de la dérober lui aussi l’espace d’un instant, mais il se retint. Il n’allait pas voler un Blaiddyd. Enfin… pas maintenant, en tout cas. Sa place à l’Académie serait en danger si c’était le cas, et il ne voulait en aucun cas être expulsé, pas après s’être battu pour obtenir sa place.
… Il n’empêche que le Blaiddyd n’était pas discret du tout, et Emil ne pouvait s’empêcher de douter de l’intellect de l’homme devant lui. Il aurait pu tout aussi bien se promener en portant un écriteau avec un “VOLEZ-MOI QUELQUE CHOSE !” peint dessus, ça aurait eu le même impact. Soit l’homme avait une confiance en lui incroyable, soit il était extraordinairement sot et inconscient.
Emil continua à suivre l’homme par pure curiosité morbide et pour savoir si quelqu’un aurait l’audace de lui voler sa bourse. Le Blaiddyd s’arrêta devant l’échoppe d’un forgeron qu’Emil connaissait bien, une aubaine pour le baron qui en profita pour saluer le commerçant, histoire que l’autre homme ne se doute de rien.
Les yeux du Blaiddyd semblaient examiner une dague incrustée de pierres précieuses et d’excellente qualité, ce qui amusa Emil l’espace d’un instant. Les nobles étaient tous les mêmes, n’est-ce pas ? Attirés par tout ce qui brille…
Le baron observait tranquillement le Blaiddyd en train de discuter avec le forgeron, et c’est à ce moment-là qu’il remarqua une main droite avec l’auriculaire coupé roder autour de la taille du noble. Emil examina la personne à qui appartenait la main : un homme d’un certain âge, roux, barbu et portant une tunique verte, qui feignait d’examiner l’étalage du forgeron. Il n’a fallu qu’un instant pour que l’homme barbu ne dérobe habilement la bourse et parte comme si de rien n’était.
Emil fut amusé de la situation, se disant que le Blaiddyd n’avait que ce qu’il méritait à se montrer ainsi sans être prudent. Il a aussi décidé de ne rien dire, se contentant seulement d’observer le noble. Ce serait sûrement amusant de voir comment la situation évolue.